On avait vu dans ses autres livres que la société de consommation actuelle, les manipulations politiques, le mensonges, les guerres, l'éducation..."tuaient" l'humanité. A chaque fois au travers des motivations du tueur, des prédateurs issus de tout cela. Mais c'est la première fois, qu'il nous montre que le manque de foi, d'espoir et le temps, son écoulement...ce "leviatemps" contribuent également à tuer notre humanité.
Le manque de foi et le temps...Finalement deux des plus grands tueurs au monde. De tout temps.
Qui n'a pas perdu au moins une part de soi ou une chance à cause de son manque de foi, d'espoir ? Et qui n'a pas perdu tout autant à cause du temps qui se déroule inexorablement sans jamais nous permettre de revenir en arrière ?
Le couple de héros a chacun failli y laisser sa vie. L'un à cause d'un prêtre ayant perdu sa foi. L'autre à cause d'un horloger obsédé par ce temps qui passe, insaisissable. J'ai beaucoup aimé ces deux tueurs... cette réflexion.
J'ai également adoré ce livre pour une autre raison. Car la fin tourne court. Après tout, Maxime Chattam nous a plutôt habitués à nous livrer tous les détails sur les motivations de ses tueurs. A chaque fois, il y a 5 ou 6 pages qui livrent quasiment tout le contenu de sa réflexion. Pourtant là, non. Et c'est pour moi la véritable force de ce livre. La façon dont il choisit de développer le thème de la différence entre réalité et fiction. Il le développe de façon magnifique...
Tout au long de ma lecture, j'étais plutôt agacée par Guy....cet auteur persuadé d'être à même de décortiquer, de cerner la psyché d'un tueur simplement parce qu'il écrit, qu'il invente des personnages. Cet auteur qui paraît tout comprendre, tout connaître.
Or, pour moi, si l'observation des hommes peut conduire à construire des personnages crédibles et d'excellentes histoires...eh bien...l'inverse n'est pas valable. Un auteur invente des personnages. Il est le maître de leurs actes, de leurs pensées, de leur devenir. Il accorde leurs réactions à sa partition, la trame de son histoire. De simples petites marionnettes dont l'auteur est maître.
Un être humain est bien différent.
Avec les êtres humains, il faut toujours tout envisager mais ne jamais rien croire car...nous n'avons jamais tous les éléments en main. Il faut se garder de toute certitude. De tout jugement. Tant de nos actes sont le fruit de notre inconscient, de souvenirs ou de traumatismes enterrés au fond de nous-mêmes.
Alors cette fin, pour moi, ce n'était que du bonheur...
Vous pouvez pas savoir comme ça m'a agacée tout au long du livre et...la tête que j'ai du faire quand je me suis rendue compte à quel point il m'avait menée en bateau...
Guy, finalement, se retrouve face à ce constat : il ne saura jamais. Il est face à son ignorance. Il ne saura jamais réellement quelles étaient les motivations du tueur. Il ne saura jamais avec exactitude l'origine de ces actes, ce que celui-ci ressentait réellement. Après tant de temps passé à tenter de percer les secrets du tueur, sa psyché, ses motivations...il ne se retrouve que face à son incertitude.
« La vérité dans ses moindres détails ne lui serait jamais connue et il lui faudrait vivre avec cette frustration. La réalité était, en fait, bien plus morcelée et incomplète que la fiction, comprit-il. Elle s'en différenciait par nombre d'hiatus dans ce qu'elle voulait bien livrer....L'action ne souffrait aucun verbe. Ce dernier était propre à la littérature. »
J'adore ce passage.
Bien sûr, nous...lecteurs habitués de Maxime Chattam, cela nous laisse également relativement frustrés mais...quelle belle frustration ! Oui on ne peut pas décider du cours des évènements et de ce que ressent un être humain comme l'on décide de la trame d'un livre ou des réactions d'un personnage de fiction. La fiction n'est pas la réalité.
Pour moi, il a développé ce thème d'une façon réellement remarquable.
Cette fin est magnifique aussi pour l'espoir qu'elle porte en elle pour Faustine et Guy. Celui d'un nouveau départ. Ensemble.
Ils forment un beau couple. Le côté Pile et Face d'une même pièce. Un même rejet de ces normes que la société veut leur imposer. Une même soif de liberté, le même côté aventurier...Et une si belle complémentarité. Faustine toute en « action tête baissée », dans un "je m'en foutisme" total des risques qu'elle encourt et Guy, tout en réflexion, en planification au point d'être parfois incapable d'agir.
Tous deux enfermés dans leur carcan, essayant d'en sortir. Là encore il y a une sorte de complémentarité ou plutôt...d'opposition. Là où Guy a besoin de solitude, de se sentir libre de tout lien pour se sentir revivre, Faustine, elle, a besoin d'être deux pour pouvoir retrouver sa joie de vivre.
Un carcan d'attaches familiales et sociales insupportables pour l'un...Un carcan de solitude pour l'autre.
Parce que...même si le personnage de Faustine se dessine... tout en suggestion, en non dits, son personnage est pourtant évident. Et n'a nul besoin d'être plus développé selon moi.
Surtout dans la mesure où cette histoire est constituée des souvenirs de Guy, âgé. Il ne peut donc pas se souvenir du ressenti qu'avait quelqu'un d'autre sur ces évènements. Il peut juste décrire ce que, lui, a cru percevoir..Ce qui est forcément incomplet. Ce qui nous laisse sur notre faim si on ne cherche pas qui elle est... par nous-mêmes.
J'essaie..., Faustine est une jeune femme issue d'une famille bourgeoise, une famille bien plus préoccupée par sa position sociale, par le regard des autres et la bienséance que par l'amour et le sens du partage qui devrait exister dans une famille.
Une jeune femme qui, du coup, ne s'est jamais sentie aimée, qu'on a toujours essayé de faire rentrer dans un moule alors qu'elle s'y refuse. Une belle femme auxquelles les hommes ne se sont jamais intéressés que pour son physique. Le faire valoir qu'elle représente. Les fantasmes qu'elle représente. Que bon nombre de femmes ont certainement dû rejeter par jalousie. Et qui, finalement, crève de ce besoin d'amour. Même si elle refuse obstinément d'avoir une relation qui, pour elle, serait dénuée de sens. Une vie de couple juste pour être dans la norme, pour les facilités "sociales" que cela représente. Elle préfère travailler dans un lupanar plutôt que cela, plutôt que d'être enfermée dans ce type de relation.
Mais, cela n'empêche pas qu'elle aspire à l'amour. Peut-être même plus que d'autres. Puisqu'elle ne s'est jamais sentie aimée pour ce qu'elle est, sans qu'on essaie de l'enfermer dans une boite ou qu'on la considère comme une jolie poupée.
C'est une femme qui s'est forgée une carapace pour se défendre, pour s'en sortir ... Une femme que la vie oblige tous les jours à être forte mais...dont le caractère fort, l'arrogance et les coups de colère parfois, cachent une trop grande sensibilité, une trop grande soif d'amour, de reconnaissance.
Alors, ces deux là...Ils sont beaux mais..pour moi, vu que Guy semble avoir peur de s'investir dans une nouvelle relation de couple, peur d'être enfermé à nouveau et qu'elle....elle a besoin de la certitude d'être aimée...avec la présence physique que cela suppose.
(Elle suit d'ailleurs partout Guy....)....Eh bien...J'suis un peu inquiète pour eux.
La solitude de Faustine n'est évoquée que par deux fois...Mais c'est son carcan à elle...celui qu'elle veut briser de toutes ses forces et contrairement à Guy, sa possibilité de retrouver une vraie joie de vivre, de respirer à nouveau n'est pas entre ses mains à elle.
Il ne lui suffit pas de couper des liens et de s'en aller. Sa propre libération, son propre souffle, dépend de Guy. De l'amour qu'il sera prêt, ou non, à lui donner.
En tout cas, s'ils réussissent chacun à comprendre les besoins de l'autre et à les respecter...Alors, Maxime Chattam écrira une belle histoire d'amour.
Franchement, j'espère qu'il ne leur mettra pas la tête dans le mur dans le prochain livre. Parce qu'elle est très belle cette histoire entre eux. Ce mélange de peur et d'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre.
Cela étant, l'ambiance est magique, magistrale. Pour moi, c'est un excellent livre. Parfois bien sûr, cela aurait valu le coup de détailler certains passages. Parfois, j'ai trouvé qu'il y avait des détails superflus.
Mais ça reste du détail par rapport à la façon magistrale qu'il a d'aborder ce gouffre entre fiction et réalité.
Par rapport aussi à l'originalité d'élaborer dans un roman un personnage travaillé, approfondi à l'extrême tandis que tous les autres sont ...tout en suggestion, simplement devinés à travers le prisme que forme l'histoire issue des souvenirs de Guy.