Posté le: Lun Mar 13, 2017 7:43 pm Sujet du message: En Mémoire de Fred - Clayton Lindemuth (Seuil)
Après le très remarqué Une Contrée paisible et froide (en poche chez Points), Clayton Lindemuth nous revient avec En Mémoire de Fred, son nouveau roman qui vient de paraître dans la collection Cadre Noir des Editions du Seuil, traduit par Patrice Carrer.
Le livre :
« Clayton Lindemuth : dans la lignée d’un Donald Ray Pollock... » Le Figaro Littéraire
Baer Crichton est un cul-terreux fruste et macho obsédé par le Bien et le Mal.
Depuis que, gamin, son grand frère Larry a essayé de l’électrocuter, il reçoit une décharge chaque fois que quelqu’un lui ment.
Ou alors il voit une lueur rouge dans les yeux du menteur.
Un don fort utile, mais est-ce suffisant maintenant qu’il faut venger Fred ?
Le pitbull, son seul ami dans les bois de Caroline du Nord où il vit pas très loin des personnages de Ron Rash, a été kidnappé.
On le lui a rendu en piteux état, victime d’un des impitoyables combats de chiens clandestins qu’organise l’abominable Joe Stipe, le caïd de la région.
Quand il ne soigne pas Fred devenu quasi aveugle, Baer distille une gnôle si sublime que tout le monde lui en achète, le shérif compris.
Ça lui donne du courage pour mûrir son plan.
Non qu’il en manque, mais, en face, l’ennemi surarmé est en nombre et la lutte semble inégale.
« Œil pour œil, dent pour dent », tel est le code de l’honneur hérité des pionniers.
Baer l’appliquera jusqu’au bout.
Voire plus loin.
Né dans le Michigan, Clayton Lindemuth a grandi dans l’ouest rural de la Pennsylvanie et étudié à l’Arizona State University.
Désormais établi dans le Missouri, il gagne sa vie comme consultant financier et assureur ; le reste du temps, il pratique l’ultrafond et la menuiserie.
Il écrit du noir, car « c’est là qu’il vit ».
Une contrée paisible et froide (Seuil, 2015) a rencontré un accueil critique enthousiaste en France et aux États-Unis.
_________________ « Il vaut mieux cinq mille lecteurs qui ne vous oublieront plus jamais à des centaines de milliers qui vous auront consommé comme une denrée périssable. » Jérôme Leroy
Dernière édition par norbert le Dim Mar 19, 2017 1:23 am; édité 1 fois
Posté le: Lun Mar 13, 2017 7:59 pm Sujet du message:
>> Le Coup de coeur de Claude Le Nocher sur Action-Suspense :
Citation:
Clayton Lindemuth : En Mémoire de Fred (Éd. Seuil, 2017) — Coup de cœur —
[...]
« La correction de l’autre jour ne m’a pas corrigé. Au contraire, putain ! Vous avez voulu me remettre à ma place, les gars ? C’est bien ce qui s’est passé, seulement ma place n’est pas celle que vous croyez. Je suis plus déterminé que jamais.
Rester à ma place, pour eux, ça veut dire gagner péniblement mon bifteck en fabriquant de la gnôle dans ces bois où je crèverai un jour tout seul. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que si je vis au milieu de la forêt, c’est parce qu’elle a plus à m’offrir que le monde des hommes. Ici, je vais et viens à ma guise sans rendre de comptes à personne. Je réfléchis à tout ça au fond de mon sac de couchage bien au chaud, en maudissant cette lumière… »
Certes, l’histoire n’est pas la même, et il convient d’être prudent sur les comparaisons.
Néanmoins, Baer Creighton peut nous faire penser à Nick Corey, le shérif de Pottsville, 1280 habitants.
On pourrait invoquer des décors similaires, mais c’est principalement la motivation qui est très proche.
Baer est un brave gars solitaire qui, après une jeunesse tumultueuse, s’est assagi et ne demande qu’une chose, qu’on lui fiche la paix.
Joe Stipe a voulu lui racheter son activité de fabricant d’alcool, mais c’est ainsi que Baer a trouvé son équilibre personnel.
Maintenant, il part en croisade.
Car il en a marre de subir la bêtise de ses concitoyens.
Tant que ces menteurs et escrocs nuls se bornaient à s’enivrer avec sa production de gnôle, il supportait.
Avec leurs combats de chiens, qui ont salement abîmé son compagnon Fred, Baer a réalisé que c’est vraiment la crème des abrutis qui l’entoure.
Comme pour Nick Corey, il existe un certain mysticisme dans la guerre qu’il va mener.
On le vérifiera dans la description d’une des scènes finales.
L'auteur nous explique que lui-même croit au Bien et au Mal, à une forme de moralité.
Dans le genre “Œil pour œil”, en preux chevalier solitaire, et sans pitié pour les malfaisants indignes de respect, quand même.
Dans ce foutu bourbier, il n’y a que sa nièce Mae avec ses mômes qui méritent d’être sauvés.
Si Ruth en réchappe, n’a-t-elle pas "laissé passé son tour" ?
Opération de nettoyage, donc.
Toutefois, le récit ne se contente pas d’échanges de coups de feu, de maltraitances envers les chiens ou visant Baer et Mae.
Clayton Lindemuth sonde aussi l’esprit des protagonistes de l’affaire.
Le meilleur exemple en est sûrement – outre ce salopard de Joe Stipe, le caïd local – le jeune Cory Smylie, déjà pourri jusqu’à l’os.
En Mémoire de Fred n’est pas un roman dénué d’une forme d’humour (cachette des pièces d’or, échange avec le Président du Tribunal, dialogues avec Fred…).
Malgré l’adversité, l’obstination du héros prête parfois à sourire.
En effet, la tonalité n’est pas lourdement sinistre ou morbide, au contraire.
Ça reste un noir suspense qui, après Une contrée paisible et froide, nous offre une lecture diablement excitante.
À découvrir dans la nouvelle collection "Cadre noir", qui succède à "Seuil Policier", où fut publié le premier titre de cet auteur.
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Nous étions restés sur une très bonne impression avec Une contrée paisible et froide, le premier roman de l’auteur qui est bien plus qu’un furieux western.
De ce fait nous attendions Lindemuth au tournant.
Toujours braqué vers le rural noir, c’est avec en ligne de mire ce sacré Fred que nous entrons dans un univers où la sauvagerie prend le pas sur l’atmosphère irrespirable qui se dégageait dans le précédent opus.
Si En mémoire de Fred ne renferme pas un silence assourdissant il répercute l’écho tenace d’un secret familial - déjà élément-clé du premier récit.
Ainsi l’on constate que notre auteur couche son récit sur une assise qu’il affectionne.
Au coeur du futur conflit se distingue l’ami de Fred.
Reclus dans les bois - de Caroline du Nord - Baer fait chauffer son alambic pour le plus grand bonheur des autochtones.
Le top de la gnôle !
Ils en sont tellement friands que le boss du terroir souhaite vivement profiter de cette aubaine.
Celui-ci organise des combats de chiens - il faut bien trouver des opportunités pour se distraire dans cette contrée paumée !
Mais Fred disparaît et son maître et ami est bouleversé - il n’a qu’un piètre indice pour retrouver le kidnappeur.
Ainsi s’engage une joute qui va se transformer en quête pour enfin exploser dans un concert de violence.
A ce stade, le roman pourrait tourner en rond dans un cercle de pauvres clébards ensanglantés, mais plusieurs personnages entrent en scène et le récit prend une tournure beaucoup plus subtile et intimiste - notamment les non-dits familiaux et l’organisation illicite de combats de chiens.
Baer s’apitoie sur le sort de Maé, fille de son frère - avec lequel il est en conflit - et désormais mère des trois rejetons du fils peu recommandable du maire - si peu exemplaire.
Ca suit au fond de la classe ?
Ajoutons pour corser l’affaire que Baer fut autrefois pris d’amour pour Ruth la mère de Maé.
Ne distinguer dans ce roman qu’une petite tribu d’ivrognes planquée dans un lieu isolé et pariant sur leur chien favori nous paraît très réducteur - lu ici ou là.
La bestialité s’y épanche et elle dérange, mais elle ne sert qu’à éclairer le lecteur sur les faits et gestes de cul-terreux qui expriment leur violence en faisant mumuse avec des molosses - les combats de chiens sont formellement interdits aux US mais des réseaux existent, souvent liés aux trafiquants d’armes et de drogue.
C’est dans ce décor sanglant que la véritable histoire se développe, celle d’un pauvre mec qui se terre au milieu de nulle part, qui n’a pour ami que son cher Fred - avec lequel il dialogue.
S’il vend chèrement sa peau pour le retrouver, c’est aussi et surtout l’attachement qu’il a pour sa nièce, son désir de la protéger, elle et ses enfants, contre le sort qui lui est réservé, qui fait la force du récit.
En mémoire de Fred n’est pas une grande fresque de l’Amérique profonde car l’auteur a changé de focale et en resserrant le champ l’on discerne des stigmates cachés et… un mystérieux don qui affecte Baer.
A cela il faut ajouter que la sauvagerie s’exprime dans une nature sauvage et prégnante qui symbolise l’aspect primitif de cette contrée et le nid matriciel du personnage principal.
Talion sera sa loi.
Roman âpre, souvent féroce, où l’intime parvient difficilement à s’installer et de fait à sublimer la noirceur, transcender le mal pour nous offrir un texte puissant que l’auteur prend le soin de polir en brossant de superbes portraits.
Entêtant jusqu’à la nausée, En mémoire de Fred renferme un ramassis de profanes mais recèle cependant - à qui veut la trouver - une frange d’humanité qui laisse entrevoir une (très faible) lueur espoir.
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