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Polars Pourpres

[Concours n°1] Monsieur Toi-Et-Moi

 
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Anonyme 6
Invité








MessagePosté le: Mer Juil 18, 2007 9:45 pm    Sujet du message: [Concours n°1] Monsieur Toi-Et-Moi Répondre en citant

Surpris par la pluie, Yvan s’abrita sous son attaché-case et accéléra l’allure en râlant. Tandis qu’il empruntait sa rue, il vit une forme étendue sur le sol, à peine éclairée par la lumière vacillante d’un réverbère. En s’approchant, il s’aperçut qu’il s’agissait d’un homme, couché sur le dos. Une écharpe en laine cachait son visage.
« Monsieur ? » lança Yvan d’une voix craintive.
Comme l’homme ne répondait pas, il se baissa et ôta l’écharpe lentement. Il se figea en découvrant la figure d’une pâleur mortelle. Ce visage était en tous points identique au sien...

Sa main se crispa sur l’épaule de l’homme. Sous la veste trempée, la chair céda aussitôt sous ses doigts, molle, trop molle, comme si le corps avait été vidé de ses os. Yvan eut un sursaut de révulsion. Il lâcha prise et recula brusquement.

Il resta immobile un moment, les yeux fermés, osant à peine respirer, comme s’il craignait, par le vacarme de soufflerie de ses poumons étreints par la peur, de réveiller l’homme étendu à ses pieds. L’homme qui avait son visage et pourtant ne pouvait pas lui ressembler. C’était impossible ! Son cerveau s’emballa malgré lui, se pouvait-il que... Non ! Ses parents… Auraient-ils… ? Des scénarios improbables, des inventions de romancier tiraillaient son imagination. Un jumeau caché ? Pourquoi ?

Il devait se calmer. Reprendre le contrôle. Réfléchir. Il venait d’une famille tranquille. Des parents heureux, une grande sœur. L’enfance puis l’adolescence, sans histoire. Un pavillon en banlieue. Des longs week-ends parfois ennuyeux. Papa en boute-en-train qui amusait les copains ; Maman en maîtresse de maison, efficace et discrète. Pas de croque-mitaine dans les placards. Pas de jumeau ignoré non plus…

Yvan respirait mieux. Il oubliait le froid de la nuit, le petit vent désagréable qui lui jetait la pluie au visage. Continuer. D’autres souvenirs. Le bac, mention bien. Les félicitations des professeurs, et lui tranquille, il n’avait jamais été inquiet. « Garçon intelligent et travailleur », depuis qu’il était enfant. Ensuite, l’école de commerce, c’était sa voie, il avait été brillant.

Sentant le vent de la précarité souffler sur l’emploi français, il s’était spécialisé avec opportunisme dans les basses œuvres : plans sociaux, licenciements de masse. Son nom n’apparaissait jamais nulle part. Il agissait dans l’ombre des grands patrons, fiers cavaliers de l’échiquier politique que les stratégies déplaçaient de case en case, de dégraissage en « revalorisation de la force d’entreprise ». Ils paradaient sans état d’âme, en pleine lumière, tandis que lui, modeste petit pion, assurait l’échec et mat avec patience et rigueur.

Un parcours balisé, voilà ce qu’avait été sa vie jusqu’à présent. Et un parcours balisé n’aboutit pas à l’impasse d’un cadavre. Ce n’était rien, un instant de fatigue, la journée avait été longue et pénible. En ce moment il « nettoyait » une usine en pleine délocalisation : des métallos inquiets à recevoir et rassurer, tout ira bien, nous avons tout prévu. C’était une vérité de Robespierre, ils étaient déjà tous dans la charrette.
Et lui, à deux doigts d’être au chaud à la maison. Sans cadavre ni jumeau dans le grenier.

Yvan sourit, rouvrit les yeux avec confiance. Le corps était là. Il n’avait pas bougé d’un pouce. Ce n’est pas dans les habitudes des morts. La main d’Yvan se mit à trembler convulsivement. Il avait touché un cadavre. Un corps à la chair molle, un corps broyé. La nausée lui piqua le nez, son regard se brouilla. Il ouvrit grand la bouche, inspira profondément, expira avec bruit. Deux fois, trois fois. Reprendre le contrôle. La nausée passa.

Yvan regarda autour de lui. La rue était déserte, les fenêtres en deuil. Personne ne se souciait de lui. Il était seul, avec son cadavre – hum, façon de parler. Il se força à examiner le corps avec attention, en partant des pieds, chaussés de mocassins à bon marché. Le costume ne valait guère mieux, usé et détrempé. Rien à voir avec les vêtements coûteux que son métier imposait à Yvan et dont il avait le goût – il fallait en imposer à ceux qu’il devait écraser.
La jambe droite formait un angle bizarre, comme si le genou était plié à l’envers.
L’envie de vomir lui gicla dans le gosier, amère et brûlante. Il la contint in extremis. Fermer les yeux. Inspirer, expirer. Deux fois, trois fois. Yvan rouvrit les yeux. Au-dessus de la ceinture, il chercha du sang, des blessures. La chemise était réduite par la pluie à l’état de chiffon informe, mais elle était aussi immaculée qu’au sortir du pressing. Bizarre.

Son regard atteignit le col entrouvert au dernier bouton. Sous la lueur fatiguée du réverbère, la peau grisaillait, cotonneuse. Remonter, remonter encore. Le cou, le menton.
Le trou du visage.
Yvan s’immobilisa. Il mit quelques secondes à se rendre compte qu’en réalité, l’homme n’avait pas de visage. Pas de bouche, pas de nez, pas d’yeux. Des oreilles, si, qui émergeaient des cheveux hirsutes, grisonnants comme les siens. Mais entre elles, rien, pas le moindre relief. Un renfoncement au fond plat et gris, que la pluie piquetait de larmes.

Yvan s’approcha à nouveau. Il s’agenouilla, se pencha au-dessus du corps. Retint un cri. Son visage ! C’étaient pourtant bien ses traits, là, il ne rêvait pas ! Ses traits, oui, mais brouillés de pluie, et lisses comme un plateau d’argent…
Un miroir. En fait de visage, cet homme avait un miroir tendu entre les oreilles.

Le coup de tonnerre lui ébranla la poitrine. Yvan tressauta, bascula mais ne tomba pas. Étrange, songea-t-il, ce n’est pourtant pas une pluie d’orage. Et je n’ai pas vu d’éclair…

La nausée cette fois le prit de court. Il cracha, flot épais et amer. Sur le visage de verre du pantin, une bouillie rougeâtre brouilla ses traits blafards. La douleur irradia soudain de son torse. Il ouvrit la bouche pour crier mais aucun son n’en sortit. L’air s’échappait de lui comme si son corps était un ballon crevé. Il n’avait plus qu’une envie : s’allonger, fermer les yeux, dormir. Ses yeux papillotèrent.
Mais pourquoi ne tombait-il pas ?!?

« On vous l’avait dit, qu’on fabriquait du bon acier. » La voix, murmure fatigué et haleine de tabac, juste derrière sa nuque. « Vous avez pas voulu écouter. Il fallait qu’on vous montre… »

Yvan regardait la lance de fer qui jaillissait sanglante de sa poitrine. Il ne comprenait pas. Mais alors, qui était mort ? Lui ou l’autre ?

« Maintenant, grâce à vous, peut-être que l’usine fermera pas. Votre patron, les autres, ils verront et ils diront : ah, c’est du bon acier, ça vous transperce un homme sans plier ! Vous aviez raison, hein. Grâce à votre aide, on aura pas à s’inquiéter… »
L’homme lâcha l’épieu métallique. Yvan tomba enfin.

Un peu plus tard dans la nuit, le métallo entra sur la pointe des pieds dans la chambre de son fils endormi. Avec précaution, il rassit la grande marionnette sur la chaise où l’enfant l’avait installée, au pied de son lit. C’était un cadeau de l’oncle, un forain qui faisait le clown dans un petit cirque ambulant. Il avait tout un numéro avec le pantin au visage de miroir – « Monsieur Toi-Et-Moi », il l’appelait. Mais le cirque avait dû plier pour de bon son chapiteau mité par les dettes, et l’oncle avait donné le pantin à son neveu avant de se pendre.

« T’as fait du bon boulot, Monsieur Toi-Et-Moi, murmura le métallo en tapotant le genou flasque du pantin. Repose-toi, maintenant. Peut-être bien que t’auras l’occasion de rencontrer le patron, un de ces jours… »
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Fredo
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Le Vol des Cigognes

MessagePosté le: Jeu Juil 19, 2007 12:00 am    Sujet du message: Répondre en citant


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frog
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Le Vol des Cigognes

MessagePosté le: Jeu Juil 19, 2007 8:04 am    Sujet du message: Répondre en citant

que d'imagination fertile ici
difficile de faire un choix
bon ben j'aime beaucoup celle là aussi Rolling Eyes
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sofy
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Le Vol des Cigognes

MessagePosté le: Jeu Juil 19, 2007 9:15 am    Sujet du message: Répondre en citant

excellent...on se demande comment vous faites pour trouver des idées pareilles ! Wink
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Hoel
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Le Vol des Cigognes

MessagePosté le: Jeu Juil 19, 2007 10:41 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Très bonne, celle là. Wink
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luce
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Le Serment des Limbes

MessagePosté le: Ven Juil 20, 2007 5:40 pm    Sujet du message: Répondre en citant

sofy se répète un peu ! ^^

elle est excellente aussi, mais effectivement, est-ce qu'on est obligé de choisir LA meilleure ?? ça sera dur...
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Memess
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Les Rivières Pourpres

MessagePosté le: Ven Juil 20, 2007 9:35 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Un peu décontenancé par cette nouvelle mais le style m'a beaucoup plu !
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Sybil
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Le Vol des Cigognes

MessagePosté le: Dim Juil 22, 2007 10:04 am    Sujet du message: Répondre en citant

Je trouve celle-là excellente, tant du point de vue de l'idée que du style !
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N'est pas mort ce qui à jamais dort.
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