norbert Serial killer : Hannibal Lecter
Age: 47 Inscrit le: 18 Avr 2007 Messages: 11680 Localisation: Rhône-Alpes
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Posté le: Mer Jan 17, 2024 6:07 pm Sujet du message: Re: Lecture de Il était une fois en Amérique... |
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Flonaliscu a écrit: | Comme «Il était une fois en Amérique» est un de mes films «doudou», j’étais impatient de lire le livre paru chez Sonatine, tout en craignant d’être déçu... Je n'ai pas été pas déçu : le livre vaut le voyage. Mais il pose beaucoup de questions dont une, centrale : selon la source, le film, la préface du livre (par Sergio Leone), le livre lui-même, ou les bribes connues de la biographie de Harry Grey (nom de plume de Herschel Goldberg, auteur et modèle autobiographique du personnage principal), on se demande vraiment qui était ce gangster, "Noodles", alias le «surineur de Delancey Street» (New York, Lower East Side), surnom de David Aaronson, le «héros» de l'histoire.
Je commence par le film : Noodles y est imprégné voire enluminé par la personnalité de Robert de Niro, ce qui gomme très largement ses travers, faiblesses, succès, renoncements, échecs et trahisons, qu'on pressent ou qu'on apprend tout au long de l'aventure. Disons aussi un mot du scénario et des six (!) scénaristes du film parmi lesquels Sergio Leone : ils ont certes retenu du livre les épisodes-clé de l’enfance de Noodles et des ses amis; ils ont aussi gardé, en les interprétant, plusieurs épisodes de sa vie, mais ils ont produit une création originale, romanesque avec, en particulier, des retours en arrière structurés, contrairement au livre qui est un récit linéaire. Le scénario du film est réellement brillant et je me demande d’ailleurs pourquoi ses auteurs n'ont jamais été nominés pour aucun Prix, contrairement à d’autres éléments du film comme la bande originale, les costumes ou la réalisation. Pour mémoire, le film n’a jamais obtenu de grand Prix...
Maintenant le livre : j'enjambe pour l'instant la préface de Sergio Leone et j'y reviendrai ensuite, vous comprendrez pourquoi. Voici donc le livre : Je lève tout de suite le secret, le Noodles du livre n'a pas grand chose à voir avec le Noodles de Robert de Niro, et le style et l'ambiance du livre ne sont pas ceux du film... D'où le très vif intérêt de le lire.
Noodles raconte son histoire à la première personne. Loin d'être des minables, la bande à Noodles, plus ou moins pilotée par "Big Maxie" (Max), est faite de coquins astucieux qui montent des coups imaginatifs, souvent brutaux et réussis. Je vous recommande en particulier l'épisode jubilatoire, inédit dans le film, de la machine à faux billets avec des rebondissements en série.
Contrairement au film dont la tonalité majeure est la nostalgie, le livre est imprégné d’humour récurrent et dévastateur.
Contrairement au film aussi, le livre est un constat sur la société et ses inégalités, la nature humaine et ses perversions, la vénalité et la corruption profonde et généralisée de la bourgeoisie d’affaires et des autorités qu'on peut "acheter avec une charlotte russe" (la pâtisserie symbolique qui revient en ritournelle du fond de l'enfance de Noodles).
En outre, le Noodles du livre et sa bande de truands sont, tout au long de leurs aventures, des Robins des Bois qui, certes, se servent au passage et avec brutalité, mais ne perdent pas une occasion de remettre en selle et de faire des cadeaux à de pauvres hères exploités par les puissants qu'ils terrorisent à leur tour.
Enfin, et cela concerne probablement Harry Grey, le récit est aussi l'occasion d'une réflexion permanente sur soi, ses doutes, ses regrets et sa destinée. En résumé, on est assez loin du pauvre type ballotté par les événements que décrivent (cf. ci-après) la préface de Sergio Leone et la presse de l’époque... Pour être honnête, l'auteur n'est ni Marcel Proust ni Philipp Roth, ni même Raymond Chandler et il lui arrive, même lorsqu'il s'identifie à Noodles (l'intello de la bande) de débiter des lieux communs et des remarques "enfantines" en chapelets. Le style est sommaire. On relèvera aussi que l'auteur, qui apparemment a écrit son livre en prison à Sing-Sing, a sans doute voulu «se refaire un peu la cerise» avec des placements de produit assez lourds, en l'espèce le whiskey Mount Vernon (que j'ai découvert à cette occasion) et peut-être les voitures Cadillac... Mais, bon.
Ensuite, il y a donc la préface de Sergio Leone : je vous conseille de la lire en second, après le livre. Pourquoi ? Parce que cette préface donne une clé de lecture très particulière, dans une tonalité qui est d'ailleurs la même que celle de la Revue de presse de la Cinémathèque en 2018, et des commentaires de sortie du film en 1984, par le Point, Libération, les Nouvelles Littéraires et d’autres : "...Au commencement était la réalité. Une réalité étriquée et plutôt dérisoire. L’autobiographie d’un raté du crime, un assemblage de souvenirs sans gloire". Patatras ! Si l’on suit Leone (et la presse française a suivi sa préface publiée dans Positif comme un seul mouton), Noodles et ses copains étaient des minables, et heureusement que lui est arrivé pour mettre de la classe dans tout ça. Je suis en désaccord. Si on en croit ce que raconte Noodles, chacun des quatre lascars avaient 200.000 US$ en réserve au moment de leur dernière aventure, ce qui aujourd’hui vaudrait 4 millions US$. Pas mal...! D’autre part, si l’on en croit la fiche liminaire du livre, Harry Grey avait récupéré les droits de son livre en 1980 au moment de la cession à Sergio Leone. Pas mal...! Et puis, il avait survécu à ses trois comparses, plus à 20 ans de Sing-Sing et il vivait tranquillement à New-York où il a rencontré le réalisateur. Pas mal non plus...! Il ne me semble pas que Herschel Goldberg (Harry Grey) ait été un imbécile... à moins que... Certains forums américains «OUATIA» (One upon a time in America, eh oui...!) suggèrent l’idée que tout est faux, les aventures, les vies rêvées, etc. La question reste posée... |
Merci Flonaliscu pour ce retour détaillé, qui me donne envie de m'intéresser autant au livre qu'au film ! _________________ « Il vaut mieux cinq mille lecteurs qui ne vous oublieront plus jamais à des centaines de milliers qui vous auront consommé comme une denrée périssable. » Jérôme Leroy |
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