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Polars Pourpres

Vindicare (une nouvelle entre deux corrections)

 
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otis
Témoin



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Localisation: Bagneux


MessagePosté le: Mer Avr 30, 2008 8:33 am    Sujet du message: Vindicare (une nouvelle entre deux corrections) Répondre en citant

J’ai un problème avec l’alcool depuis que ma femme est morte.
J’y ai noyé mon chagrin tout naturellement. Je n’arrivais plus à penser correctement, je ne sortais plus de chez moi et je ne voulais voir personne. Alors j’ai commencé à côtoyer la bouteille pour oublier que ma femme venait de se faire tuer. En y repensant, je sais que ça a été stupide de ma part. Je pensais que le fait de me niquer la tête au point de ne plus me souvenir de ma soirée au réveil, pouvait me rendre service et m’aider à oublier la douleur qui me rongeait. Mais tout ce que cette sale manie m’apportait, c’était de me bouffer la santé et passer pour un poivrot notoire auprès de tout le monde. Les personnes qui ne me connaissaient pas, qui ne savaient pas que je venais de perdre ma femme me jugeaient comme je le méritais. On me croisait bourré à partir de 14 heures. Mes proches me donnèrent le bénéfice du doute au début mais abdiquèrent après que leur acharnement à me sortir de là restait vain.
Je devenais alcoolique et je m’y complaisais.
La douleur de la perte était trop forte pour que je puisse la supporter à jeun alors je picolais. Et surtout, je picolais pour oublier de quelle manière ma femme était morte. Je sais qu’elle a souffert, comme jamais personne ne peut souffrir, comme jamais personne ne doit souffrir et le salopard qui lui a fait subir ce calvaire court toujours.
Le souci, si tant est que cela en soit un, est que je suis un écrivain doté d’une imagination plus que fertile et que, quand je n’ai pas le cerveau embrumé par l’alcool, mes pensées cavalent vers des contrées bien trop sombres. Quand je ne suis pas soul, je vois ma femme agoniser durant des heures, je l’entends hurler mon prénom, je l’entends appeler à l’aide. Une aide qui n’est jamais venue pour la délivrer de son tortionnaire. Les flics l’ont trouvé après quatre jours, après que j’ai déclaré sa disparition, dans un état pire que la mort.
Alors oui, je bois, plus que de raison…
Mais au moins, je ne l’entends plus crier.

Je me réveille tout le temps avec un mal de crâne qui ne me permet pas de réfléchir. Je reste un temps sans rien boire, hormis du café pour achever de me réveiller, et déambule dans ma maison à la recherche de quelque chose. Je sais ce que je recherche mais je n’ose l’avouer ouvertement, j’ai bien trop peur de la réponse. J’ai un grand vide à l’intérieur. Mon domicile est vide de tout, j’ai balancé mes souvenirs à la poubelle. J’essaye de refaire ma vie mais c’est pas toujours évident. Il y a des jours où je me résigne mais, la plupart de temps, je n’y arrive pas. Et c’est à ce moment-là que je recommence à boire.
Au début de ma déchéance, j’ai voulu fréquenter les bars et en faire les fermetures, me plonger jusqu’à pas d’heures parmi les soiffards et ensuite errer dans les rues dans un état lamentable. Le souci, c’est que je me suis fait arrêter plusieurs fois pour ivresse sur la voie publique et des flics compatissants, qui avaient eu vent de mon affaire, me raccompagnaient à mon domicile après quelque temps passés en cellule de dégrisement. Je voyais très bien, à travers les vapes de l’alcool, qu’ils me prenaient en pitié. J’avais assez souffert de ça par le biais des membres de ma famille pour ne pas le subir de la part des forces de l’ordre. L’apitoiement n’était pas un état d’esprit dans lequel je voulais me trouver, je préférais qu’on me foute la paix et me laisser cuver.
Alors, je ne quittais que très rarement ma maison, ne sortant que pour faire le plein de mon carburant. J’étais vite passé de la bière à des alcools plus forts et j’en venais souvent à faire des mélanges qui me faisaient gerber tripes et boyaux. J’avoue que dans ma constance à me rendre minable, j’en suis venu à développer une certaine forme de résistance à l’alcool. Et puis, je connaissais les mélanges les plus critiques, de ceux qui vous laissent sur le carreau et qui vous font vraiment mal.
J’ai beaucoup pensé à ma femme, je pense encore beaucoup à elle, j’avais soif de vengeance. Je voulais chopper l’ordure qui avait osé porter la main sur elle, me faire ma propre justice mais je ne savais pas comment faire. La police n’avait trouvé aucun indice digne d’être exploité et, quatre mois après sa mort, le tueur courait toujours. Quand j’étais bourré, j’imaginais que je tenais l’assassin, que je le faisais souffrir. Je voulais savoir par le détail ce qu’il avait fait à ma femme. Je voulais qu’il paye, je rêvais de lui faire subir les mêmes atrocités mais tout cela n’était que fantasmes, les idées morbides de l’alcoolique notoire que je tendais à devenir.
Sans savoir vraiment pourquoi, au fur et à mesure du temps, j’en suis venu à me débarrasser de toutes les choses qui me rappelaient mon ancienne existence. Ma vie de couple, les photos, les souvenirs ramenés de nos différents voyages, les traces de ma femme dans la salle de bains, ses vêtements dans l’armoire… je voulais effacer son ombre omniprésente pour me préparer à ma propre mort. Ce désir de disparaître était latent depuis le moment où j’avais décidé de me plonger dans l’alcool. Je voulais mourir d’ivresse et je me devais de faire table rase du passé pour renaître sous une forme vide et effacer cette chose immonde que j’étais devenu.
Je me nourrissais très peu ne m’alimentant que du strict minimum. Je ne voulais pas perdre de temps entre mes cuites. Je dépérissais à vue d’œil. J’arrivais à ma fin. Je me sentais fatigué en permanence. Je perdais la notion du temps et les proches ainsi que des voisins bien intentionnés s’inquiétèrent de mon silence. Ils me téléphonèrent ou frappèrent à ma porte par acquit de conscience. Au départ, je répondais mais après je faisais la sourde oreille.
Je crois que ça a vraiment duré quatre mois, buvant de plus en plus, mangeant de moins en moins, sortant de temps à autre.
C’est durant une de mes rares incursions dans le monde des vivants que je suis tombé sur la lettre. Une enveloppe sans inscription qui traînait au milieu d’un tas de courriers s’accumulant dans ma boîte aux lettres. Je ne voulais plus ouvrir ma boîte, c’est simplement le mot du facteur qui me demandait de vider cette satanée ouverture sur le monde qui m’y força.
Sincèrement, j’aurais préféré ne jamais avoir fait ce geste.
La lettre que je savais provenir du meurtrier de ma femme acheva de m’achever. Elle disait.

J’ai vos souvenirs. C’est comme si vous tentiez d’effacer sa mémoire. Pourquoi avez-vous fait ça ?
Je n’ai pas de mal à croire que vous avez mal. Les bouteilles vides à côté des déchets de vos souvenirs m’apportent un complément à votre état d’esprit. Vous sombrez, vous ne vivez plus, vous voulez mourir mais si vous voulez donner un tant soit peu de sens au peu de temps qu’il vous reste à vivre ou tout du moins aux moments que vous voulez passer sur cette terre, laissez-moi un mot à côté de vos cadavres et je ferais le reste.


Elle n’était pas signée. Rien qu’une lettre tapuscrite sans signe distinctif et l’enveloppe était du même acabit. J’ai senti de la répulsion à l’idée que l’assassin de ma femme puisse traîner autour de chez moi, à faire les poubelles comme un charognard se nourrissant du reste d’un repas immonde. Le réflexe le plus logique aurait dû être celui d’appeler les flics pour que je leur donne le pli. Ils auraient pu l’étudier sous toutes les coutures à la recherche d’indices leur permettant de repartir sur les traces du tueur mais, avec mes idées éternellement embrumées par l’alcool, je m’enfermais encore plus pour lire et relire cette lettre. J’en trouvais un double sens, comme si, entre les lignes, était tapé un autre texte. Il avait récupéré mes souvenirs pour s’en repaître, prolongeant la torture physique de ma femme par celle, mentale, qu’il m’infligeait. Mes sales habitudes d’écrivain reprenant le dessus, je voyais ce type, chez lui, avec les photos de notre couple autour de lui, à fantasmer comme un malade qu’il était, l’imaginant en train de penser à moi, au milieu de rien à me pochetronner. Lui n’avait pas tout à fait tort, j’effaçais le souvenir de ma femme mais pour lui rendre hommage, non pour m’apitoyer comme il devait l’imaginer. Elle avait souffert, je le savais, mais je voulais qu’elle reste en paix. Les souvenirs malsains peuvent tuer, alors en les effaçant je pouvais espérer survivre, son esprit pourrait vivre au plus profond de moi. Pas besoin de clichés figeant un instant fugitif qui ne nous laisse qu’un filigrane d’existence. J’ai laissé couler quelques jours et, la nuit du troisième, je lui ai écrit.

Vous êtes une ordure de la pire espèce, une merde qui ne mérite pas de vivre. Vous faites les poubelles à la recherche de quelque chose qui vous retienne à votre misérable existence.


Rien que ces deux lignes que j’avais griffonnées après trois pintes de bière. J’étais descendu pour mettre la lettre à côté des containers au bout de ma rue. Les éboueurs passaient le lendemain matin, si le malade ne passait pas cette nuit, alors mon geste ne servirait à rien. D’ailleurs, je ressentais ma tentative comme avortée par avance.
Très tôt, le lendemain matin, j’ai entendu les éboueurs secouer les poubelles et les vider. Je suis sorti comme ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Planté au bout de la rue, j’ai respiré à pleins poumons les odeurs du jour naissant. Ma lettre n’était plus là.
J’ai marché un peu en pensant à ma femme, sans m’imaginer les scènes horribles qui s’étaient jouées sous mon crâne durant trop de temps. J’étais triste, je ressentais un grand vide, je ne pensais pas survivre à la mort de ma femme mais je commençais enfin à réaliser qu’elle ne serait plus jamais à mes côtés. Je versais quelques larmes en silence durant mon périple que je ressentais alors comme une libération de l’esprit. Je me devais de faire son deuil comme elle le méritait, un deuil intime. J’avais déjà commencé en jetant les mauvais souvenirs, je décidais que je ne garderais qu’une photo d’elle dans mon portefeuille, un cliché des plus simples. Une photo couleur tirée d’un photomaton.
Je contournais mon lotissement et regagnais ma maison. Par réflexe, j’ai ouvert ma boîte aux lettres et j’y trouvais une feuille pliée en quatre couvertes d’une écriture malhabile, comme tracée par une main secouée de tremblements. Je m’installais sur les marches de mon perron pour la lire.

Ma patience a payé. J’étais persuadé que vous alliez me répondre. Je vous ai vu cette nuit, sortir en titubant et poser la lettre insultante que vous avez osé m’adresser. Quelle image vous avez de moi ? Celle d’un énième malade bon à enfermer ? Et vous, comment vous voyez-vous ? À boire pour tenter d’oublier, à vous enfermer dans votre maison qui sent le renfermé, à vous couper de tout. Vous n’êtes pas digne de moi, de l’attention que je vous porte, de la pitié que j’ai pour vous. J’ai tué votre femme, je l’ai fait souffrir, elle a hurlé votre prénom, elle a appelé à l’aide, elle m’a supplié mais je n’ai pas lâché. J’ai lu vos livres et je connais vos pensées les plus intimes. Je sais que votre femme était ce que vous aviez de plus cher au monde. Je vous ai pris ça et maintenant, je vais vous achever.


Je me suis retenu de vomir. J’ai porté un regard autour de moi. Cet enfoiré m’épiait, il pouvait être n’importe où, à surveiller la moindre de mes réactions. J’ai vu les choses tourner autour de moi et le chant des oiseaux diminuer d’intensité pour ne plus être qu’un sifflement presque inaudible. J’en appelais à ma volonté, je ne voulais pas tomber dans les pommes. Mon état était, sans aucun doute possible, dû à ma fatigue vu que je dormais peu et mal, mais en plus, je me sentais espionné. Je voulais me relever, batailler contre l’appel du néant et je réussis à remonter vers la surface. J’attrapais la rambarde qui cavalait sur le côté des marches et y allais à tâtons. La porte était là, toute proche mais pourtant si lointaine. Je n’avais pas fermé à clef et l’ouvris en m’y appuyant de tout mon corps. Elle céda et je m’affalais dans l’entrée. Je restais allongé le temps que mon corps se calme et que je reprenne mes esprits. J’avais gardé la feuille dans ma main droite et je la trouvais froissée. Je devinais les lettres que le malade avait écrites et en mesurait toutes les conséquences. Ce fumier voulait ma peau, c’était indéniable. Il m’avait pris ma femme et maintenant il voulait lui-même m’amener à ma perte.
Je me redressais et me décidais à appeler les flics. Je ne pouvais pas attendre que ce barjot fasse irruption chez moi pour m’achever. J’avais décidé de comment mettre fin à mes jours, je ne pouvais pas laisser quelqu’un d’autre le faire.
J’avançais vers le guéridon de l’entrée, là où était posé mon sans-fil, et fis le numéro d’urgence. Je suais froidement et je me revis quatre mois plus tôt, dans la même position, au même endroit, à appeler la police pour déclarer la disparition de ma femme. Je raccrochais aussitôt, défroissais la lettre et grimpais à l’étage pour allumer mon ordinateur. Il était resté éteint depuis la mort de ma femme, de l’allumer me rappela mon ancienne vie, celle où je passais des plombes penchées sur le clavier à écrire mes histoires. Je n’avais rien écrit depuis et j’eus du mal à reprendre mes habitudes avec les touches. Je calmais mes tremblements et me mis en devoir de répondre à l’ordure. J’étais encore mal en point mais, au moins, je me trouvais en position assise.

Espèce d’enculé,
Tu as anéanti ma vie et tu veux me pousser à bout. Sache que je vais te traquer, je vais te trouver. Tu crois me surveiller, ça ne me fait ni chaud, ni froid. Tu peux être devant chez moi, à m’épier. Tu peux surveiller le moindre de mes gestes mais réfléchis à ça. Qui sera l’espionné ? Toi ou moi ?
J’ai appelé les flics…


J’effaçais immédiatement cette ligne, pas de menace extérieure, rien que lui et moi.

Je vais te faire souffrir, je n’ai plus rien à perdre, j’ai du temps, beaucoup de temps. Je ne sais pas qui tu es, à quoi tu ressembles mais je t’imagine petit, avec un physique ingrat, une sale tronche, à n’être bon qu’à fouiller dans les poubelles, à vivre sur un tas d’immondices. Tu n’es qu’un bon à rien. Tu sais quoi ? Je t’invite à venir me voir. Ose sonner chez moi. Un face à face ça te dit ? Je suppose que tu n’en auras pas les couilles. Tu préfères te cacher derrière ton stylo. Allez, ose salopard.

Je relus le tout à l’écran, je tremblais encore plus et j’amenais le curseur de la souris vers l’icône de l’imprimante. La feuille sortit et je mis quelque temps avant de l’attraper. Elle me faisait l’effet d’avoir été écrite par un autre, comme si je m’étais dédoublé sous la force de la colère. De plus, je n’avais pas réussi à tirer une ligne depuis le meurtre de ma femme. Cette feuille maculée d’encre sonnait comme une délivrance. L’écriture avait été mon truc à l’époque, ma femme me suivait depuis toujours même si ça la soûlait de m’en entendre parler pendant des heures. Ce travail qui nous avait fait vivre allait me servir à mettre en place ma vengeance.
La feuille atterrit dans une enveloppe et j’attendis. Je voyais le curseur clignoter sur le fond blanc de la page, égrenant les minutes qui allaient me pousser dehors pour affronter mon avenir.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté prostré devant mon écran. Je me suis éjecté de mon fauteuil à un moment donné pour dévaler les escaliers. J’étais content de me sentir mieux. J’avais la gorge sèche mais sans le besoin d’avaler un verre d’alcool pour le moment. Je passais par la cuisine pour me remplir un verre d’eau. Dans la maison, il faisait noir, je vivais volets clos et ma baraque sentait le renfermé.
à vous enfermer dans votre maison qui sent le renfermé.
Les mots de l’enfoiré dansèrent devant mes yeux et je fus saisi d’une angoisse sans nom. Ce n’était peut-être qu’une déduction de sa part. S’il m’épiait depuis des mois, il avait sans doute remarqué que mes fenêtres restaient obstinément closes et que je ne sortais que très rarement.
Je chassais cette angoisse malvenue pour me ressaisir. J’avalais un second verre d’eau avant de sortir.
Je me postais sur mon perron et regardais autour de moi. La rue calme bordée d’arbres en autant de cachettes. Les maisons de chaque côté de la rue, abandonnées en ce mois d’août. Tout respirait le calme. Je tenais la lettre à la main, bien en évidence, en espérant que le barge allait la voir avec l’envie de la récupérer.
Je laissais la porte ouverte et me dirigeais vers l’endroit où on laissait les poubelles pour éviter aux camions de ramassage de faire le tour de la résidence et foutre un barouf de tous les diables. Il n’y avait pas une once de vent mais j’attrapais un caillou de grosse taille que je posais sur l’enveloppe, à même le sol. Je me reculais et trouvais le tableau insolite. Une enveloppe par terre, au milieu de l’herbe. Puis je regagnais ma maison, sans me retourner. J’aurais pu me foutre derrière un arbre pour tenter d’apercevoir le type mais s’il m’observait lui aussi, il ne prendrait évidemment pas le risque de se faire repérer.
Je rentrais chez moi et claquais la porte. Enfermer dans votre maison qui sent le renfermé. Je voyais encore les mots danser dans l’ombre, et encore la présence de l’angoisse, malsaine, me donnant l’impression de ne pas être en sécurité. Pour chasser ce malaise, je fis le tour de la maison et ouvris volets et fenêtres. Puis, je m’installais dans mon canapé et laissais les rayons du soleil caresser ma peau.
Pour la première fois depuis quatre mois, je n’eus pas besoin d’un verre pour m’endormir.

Je me suis réveillé en sursaut pour m’apercevoir qu’il faisait nuit noire et je sentais une légère pointe de vent me caresser la peau. Je me redressais dans mon canapé à l’écoute de ma maison. J’avais rêvé que le fumier était rentré chez moi et qu’il voulait me faire la peau, m’enfermant dans la cave pour me torturer à mon tour.
Après avoir repris mes esprits et chassé les relents de mon cauchemar, je me décidais à sortir pour aller voir si ma lettre était encore à sa place.

La nuit était fraîche. Tout était silencieux. L’endroit des poubelles s’approchait et je fus encore saisi d’une folle angoisse. Je ne voyais pas grand-chose mais suffisamment pour me rendre compte que l’enveloppe n’était plus là. Je m’accrochais au tronc d’un arbre un court instant en me demandant comment l’enfoiré l’avait prise. Elle sourdait d’une menace non dissimulée et mes intentions avaient dû lui paraître limpides. Je ne regrettais pas mon geste, bien au contraire, ç’avait été fait sur le coup de la colère et complété par un sentiment de vengeance froide.
Je fis demi-tour vers ma maison. Encore une fois, j’avais laissé la porte grande ouverte. Je rentrais et la fermait à double tour. J’entrepris de boucler mes fenêtres, sans les couvrir des volets. L’envie de boire un verre m’attrapa sans crier gare. En temps normal, à cette heure avancée de la soirée, j’étais déjà bien bourré, naviguant entre somnolence et moment de veille éthylique. J’avisais une bouteille sur la table basse et lorgnais vers un verre posé à côté.
« Vas-y pochtron, bois pour oublier !
Je fis volte-face pour tomber nez à nez avec un homme de la même taille que moi, planqué dans un coin d’ombre, pas loin de la cuisine.
- Picole, t’es bon qu’à ça. Tu n’es pas digne du souvenir de ta femme. Ta lettre n’a été qu’une bouteille à la mer. Tu veux te venger, mais tu te complais dans ton état… soûle-toi, oublie-toi dans l’alcool mais ta femme est morte ! »
Ses mots claquèrent à mes oreilles comme une insulte et je me précipitais vers lui, les poings en avant. Je n’avais pas peur, je ne réfléchissais pas aux conséquences de mes gestes, je voulais frapper cet immonde fils de pute qui avait osé poser ses sales pattes sur ma femme, qui avait osé prendre sa vie pour me laisser vide de tout.
J’étais à deux pas de lui et tout fut bien trop rapide. Quelque chose me frappa très fort au visage, je basculais et m’écrasais au sol. Ma conscience s’évapora et je partis vers les ténèbres. Avant de sombrer, je vis son visage penché sur moi. Je mis ma vision sur le compte de la souffrance. L’homme qui se penchait sur moi me ressemblait comme deux gouttes d’eau.

Encore une fois, je restais dans cet état un temps indéterminé, quelqu’un m’appelait pour me sortir de là. Je crus reconnaître la voix de ma femme. À mesure que je remontais du néant, je devais me rendre à l’évidence que c’était bien elle qui me tirait de là.
Quand je refis surface, je mis quelques secondes avant de me repérer. Je reconnaissais l’endroit mais le salop avait dû taper très fort car je ne me connectais pas tout de suite à la réalité. Le jour se fit. J’étais assis devant mon ordinateur, dans le fauteuil que ma femme m’avait ramené d’un vide grenier. Je secouais la tête et j’entendais encore ma femme, son timbre venait de derrière moi, sur la gauche. Je battis des paupières pour chasser la brume qui noyait mon champ de vision. L’écran de mon ordinateur était allumé et je voyais des mots noirs sur le fond blanc. Ma femme me parlait toujours. Je tournais doucement la tête comme au ralenti. Elle était là, à mes côtés, l’air inquiet.
« Qu’est-ce que tu as. Tu es pâle comme un linge. Je me suis inquiétée, ça fait quatre heures que tu es là. Tu ne me répondais pas…
Je voulus articuler quelque chose mais je ravalais la boule qui se formait au fond de ma gorge. J’arrivais à lui faire face.
- C’est toi… tu… merde !
- Tu me fais peur là, arrête tes conneries…
- Je…
- Je trouve que tu écris trop en ce moment, va falloir penser à te reposer vraiment.
Je n’arrivais pas à parler correctement. Mon cerveau se reconnectait doucement avec la réalité et je sus. L’ordinateur, les mots qui se bousculaient à l’écran, le curseur qui clignotait. Putain, c’était impossible. Je savais très bien que je me plongeais corps et âme dans l’écriture, mais à ce point. J’attrapais la souris et fis défiler les pages… les mots, l’histoire, tout était là, sous mes yeux. Ma femme m’appelait encore, me demandant si tout allait bien. Je ravalais mon angoisse.
- Pas trop nan, mais je sens que ça va aller de mieux en mieux…
- Qu’est-ce que tu racontes…
Ma femme se pencha sur l’écran. Je choppais la souris et fermais la fenêtre du logiciel, en sauvegardant tout de même.
- De quoi ça parle cette fois ?
Je réfléchis.
- De toi, d’alcool et de vengeance…
- Tant que ça !
Je me levais de mon fauteuil, les jambes en coton. Ma femme m’aida à me lever, en insistant sur le fait que j’avais vraiment besoin de me reposer.
Sur la commode, à côté de mon bureau, se trouvait un verre de vin rouge à moitié vide. Je l’attrapais et en bus le reste. Ma femme me tira par le bras…
- Et, au fait, je trouve que tu bois trop en ce moment ! »
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