Jean-Christophe Grangé — Polars Pourpres

[Invité]

Surpris par la pluie, Yvan s’abrita sous son attaché-case et accéléra l’allure en râlant. Tandis qu’il empruntait sa rue, il vit une forme étendue sur le sol, à peine éclairée par la lumière vacillante d’un réverbère. En s’approchant, il s’aperçut qu’il s’agissait d’un homme, couché sur le dos. Une écharpe en laine cachait son visage. — Monsieur ? lança Yvan d’une voix craintive.
Comme l’homme ne répondait pas, il se baissa et ôta l’écharpe lentement. Il se figea en découvrant la figure d’une pâleur mortelle. Ce visage était en tous points identique au sien...

Yvan inspira profondément, secoua la tête une fois, deux fois, comme pour échapper à un mauvais rêve. Très lentement, il avança la main vers ce visage qu’il voyait tous les matins en se rasant devant le miroir de sa salle de bains. Il effleura délicatement la courbe de la joue, s’arrêtant inconsciemment de respirer. Une joue encore chaude malgré la pluie qui tombait, une joue rebondie qui appelait aux caresses, une joue douce, presque juvénile.
Yvan sentait son cœur battre la chamade, résonnait dans sa tête en violent coups de sang. Il inspira longuement, comme si ce seul geste pouvait retirer l’étau qui lui paraissait peu à peu encercler sa cage thoracique, remontant le long de son cou, enserrant ses mâchoires, et qui gagnait peu à peu son visage, comme une lèpre rampante qui lui semblait déformer ses traits. Et, comme dans un miroir, le faciès de l’homme au sol se crispa, grimaça, les lèvres serrées sur un rictus de haine, les yeux plissés comme s’il ne voulait pas découvrir ce qui l’entourait.
Yvan commençait à étouffer. Il tomba à genoux tout près du corps, sa jambe gauche touchant le bras et la main de l’inconnu. Cet inconnu qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, cet inconnu qui était gagné par un frémissement de plus en plus important, qui semblait souffrir autant qu’Yvan qui cherchait désespérément à reprendre une inspiration.
Yvan sentit soudain la main encercler sa cheville et la serrer, fort, très fort. Il releva la tête pour découvrir le regard haineux de son….Double, son jumeau…? Dans son esprit embrumé, il avait de plus en plus de mal à trouver des mots, des explications. Il ne pouvait pas, ne pouvait plus réfléchir. L’étau se refermait sur lui, l’enfonçant dans une obscurité où ne surnageait que le visage de l’autre, ce visage si connu et qui devenait peu à peu si répugnant. La lèpre qui gagnait insidieusement la mâchoire, les yeux remplis de haine, rendant le regard presque fou, la bouche qui s’ouvrait sur un cri inaudible, un vagissement presque muet …Et Yvan, répondant comme en écho, poussa un hurlement de terreur, se jeta en arrière comme repoussé par cette vision cauchemardesque. Il tomba de tout son long sur l’asphalte froid et humide, se recroquevilla sur lui-même, en position fœtale, pour se protéger de cet autre lui-même qui maintenant le dominait de toute sa grandeur, de toute sa haine.
Yvan hurlait à s’en rompre les cordes vocales. Le visage de l’autre, ce visage si ressemblant derrière les traits difformes, se rapprochait de plus en plus vite de lui. Yvan lança ses poings, griffa la peau, ses ongles laissant de longues estafilades sanglantes. Mais l’autre était de force égale,et il rendait coup pour coup. Ils roulèrent ensemble, dans un inextricable entrelacs de bras et de jambes, à n’en plus savoir lesquels appartenaient à Yvan ou à l’Autre, comme s’ils ne faisaient qu’un….
Les hurlements incessants d’Yvan finirent par intriguer le voisinage. Un voisin sortit sur le palier de sa porte et accourut vers Yvan, suivit rapidement par d’autres.
-- Appeler vite le SAMU, il nous fait encore une crise, déclara un homme d’un certain âge.
-- Pauvre jeune homme, ajouta une vieille femme.
-- Ouais, il a encore oublier de prendre ses médicaments…
-- Appartement thérapeutique, qu’ils disent. Tu parles d’une thérapeutique, le mec, ch’ai pas ce qu’il a vu, mais il s’est sacrément amoché…..
-- Il s’est vu lui-même… C’est souvent ce que l’on voit quand on est en crise, annonça presque comme à regret une jeune femme, un double déformé, un double qui exprime toutes nos rancoeurs, nos haines, nos peurs et nos frustrations….

[Fredo]

Pas mal du tout. Le côté Fight Club, c'est pas con du tout ! La conclusion aurait mérité un petit développement, c'est un chouilla abrupte, en ce qui concerne la dernière phrase.
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Frédéric Fontès, News & Chroniques sur www.4decouv.com et C'est Culturellement Dingue sur TikTok

[Memess]

Encore une très bien !
Le choix sera difficile !
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Polars Addict : Chroniques des littératures de genre
So many books, so little time...