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Des auteurs payés à la page lue chez Amazon...

 
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Le Juge Wargrave
Ishigami le Dharma


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Les Rivières Pourpres

MessagePosté le: Lun Juin 22, 2015 9:12 pm    Sujet du message: Des auteurs payés à la page lue chez Amazon... Répondre en citant

Dès juillet 2015 Amazon va rémunérer les auteurs auto-publiés sur le site à... la page lue.

Ci-dessous un article très éclairant sur Rue89 sur les conséquences de cette décision :

Citation:
Amazon : ce qu’implique le paiement des auteurs à la page lue
Olivier Ertzscheid | Enseignant chercheur

A partir du mois de juillet, Amazon rétribuera ses auteurs (c’est-à-dire ceux qui ne passent pas par une maison d’édition mais s’autopublient en ligne sur le site) à la page lue. Olivier Ertzscheid, sur son excellent blog Affordance, envisage les implications de cette évolution, qui touchent aussi bien un modèle économique (celui de l’édition classique) que l’écriture (si on est payé à la page lue, autant faire en sorte que le lecteur ait envie de la tourner).

Nous reproduisons ce post avec l’aimable autorisation de son auteur. Xavier de La Porte


Imaginez un monde dans lequel les auteurs (tous les auteurs : BD, romans, polars, science, essais, etc.) seraient rémunérés non plus de manière forfaitaire en fonction du nombre de ventes mais en fonction du nombre de pages lues. Ou plus exactement, toucheraient une micro-rémunération à chaque fois qu’un lecteur lirait une des pages de leur œuvre.



Voilà plus de cinq ans que, dans le cadre du cours sur le livre et les bibliothèques numériques que je donne aux étudiants en métiers du livre du DUT information et communication de l’université de Nantes, voilà plus de cinq ans que je leur j’annonce que cela arrivera. Si vous ne me croyez pas, relisez ce billet de mars 2010 :

« On verra apparaître un outil de micro-paiement à destination des auteurs, construit sur le modèle pay-per-click des publicités AdSense... Les paris sont ouverts ; -) »

Ou même celui de décembre 2009 :

« Derrière Google Books, les intérêts de Google sont doubles : primo, enterrer l’édition (et la librairie) “traditionnelle” en permettant aux auteurs de traiter directement avec lui (désintermédiation classique), et en permettant à ces mêmes auteurs de renégocier entièrement leurs droits sur le modèle “adwords” (l’auteur touche un micro-paiement à chaque consultation et/ou accès de l’une de ses œuvres). »

De toute façon, je gagne toujours mes paris avec mes étudiants ; -) Mais je m’étais trompé sur un point, je pensais que ce serait Google qui tirerait le premier : ce sera Amazon.

Cliffhangers partout

Il était déjà possible d’acheter des livres à la découpe (un chapitre ou quelques pages, par exemple pour les livres de recette de cuisine). Désormais, ce seront donc les auteurs qui seront payés « à la page lue ».

Amazon, qui, dans le cadre de la lecture numérique sur sa tablette Kindle, dispose d’une volumétrie de données considérable et considérablement détaillée sur notre activité de « lecteur », souhaite mettre en place le modèle disruptif suivant :

« Plutôt que de payer les auteurs pour chaque livre, Amazon commencera bientôt à payer les auteurs en fonction du nombre de pages lues – non pas en fonction du nombre de pages téléchargées mais du nombre de pages affichées à l’écran suffisamment longtemps pour pouvoir supposer avoir été lues. »

L’impact sur la littérature même pourrait être considérable comme le souligne l’article de The Atlantic :

« Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d’écriture : un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les “cliffhangers” et le suspense au-dessus de tous les autres “genres”. Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés » (« hooked »), même si cela se fait au détriment de l’emphase, de la nuance et de la complexité. »

Bientôt Google et Apple ?

Pour l’instant – et on comprend bien pourquoi –, ce type de rémunération ne s’appliquera qu’aux auteurs « auto-édités » par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing. Et de jouer sur la corde incitative pour amener de plus en plus d’auteurs à se séparer de maisons d’édition « classiques » au profit d’une contractualisation directe avec Amazon. Classique et éternel (à l’échelle du numérique en tout cas) processus de désintermédiation.


Rappelons ici que « l’autopublication » selon Amazon est tout sauf un phénomène marginal réservé à quelques recueils de poèmes mal ficelés mais compte à son actif plusieurs best-sellers trustant les premières pages du classement des ventes dans plusieurs pays. On peut imaginer aisément que les premiers chiffres de rémunération qu’Amazon laissera fuiter sur son nouveau service seront suffisamment alléchants pour inciter nombre d’auteurs à opter pour ce système de rémunération à la page lue.

Mais plus que cela, Amazon ouvre ici une boîte de Pandore dans laquelle il serait très étonnant que Google (avec l’écosystème Google Books) et Apple (avec iTunes) ne tentent pas à leur tour de s’engouffrer.

Salariat algorithmique

Plus globalement, ce modèle (qui encore une fois était parfaitement prévisible), s’inscrit dans la logique d’atomisation et de renversement du « travail » que je décrivais dans mon dernier billet sur les « coolies de la pop économie ».

En ne payant plus les auteurs en fonction du nombre de pages écrites mais du nombre de pages lues, et les algorithmes et autres DRM et dispositifs propriétaires (d’Amazon) étant les seuls à pouvoir disposer des outils de mesure permettant ce fonctionnement, les auteurs se trouvent à leur tour en situation de travailler « pour » les algorithmes, à la manière de journaliers guettant la notification sur smartphone du nombre de pages lues de leurs ouvrages chaque jour.

C’est l’évolution somme toute logique d’un marché du livre déjà sous coupe algorithmique (souvenez-vous, c’était en 2008, le contrat passé par Google avec les éditeurs américains et limité aux œuvres « orphelines », instituait la règle selon laquelle un algorithme informatique (dans toute son opacité) présidait à la naissance d’un marché et en devenait simultanément le seul régulateur).

Des lecteurs tout puissants

Une fois déployé, ce système pourrait également remettre en cause nombre de rentes souvent mal-acquises, redessiner des pans entiers des industries culturelles (on pourrait imaginer un système équivalent pour le cinéma ou la télé à la demande en ne facturant que le nombre de minutes réelles de visionnage). Il pourrait surtout redéfinir entièrement notre rapport à la lecture comme activité socioculturelle « intime » ou « personnelle » et son volet « partageable ».

L’article de The Atlantic prend comme exemple celui du livre « Le Capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty, pavé de 700 pages, en rappelant (nombre d’articles de presse s’en étaient fait l’écho) le paradoxe qui faisait de ce livre un best-seller en termes de vente mais dont les statistiques de lecture disponibles (notamment par le biais du Kindle) indiquaient que la plupart des gens n’en avaient lu que quelques pages. Nous avons, en tant que lecteurs, tous déjà acheté des livres qui nous sont tombés des mains après quelques pages.

La question est de savoir ce que deviennent les auteurs de ces livres avec un modèle de rémunération à la page lue, comment ils s’adapteront et adapteront leur production littéraire à ce nouveau modèle, tout autant porteur de nouvelles opportunités que de risques considérables. La question est aussi de savoir de quel nouveau sentiment de toute puissance – ou de culpabilité – se sentira investi le lecteur dans le cadre d’un système de rémunération à la page des auteurs, se trouvant pris dans les rets d’un nouveau « petit actionnariat » de la lecture.

L’angoisse de la page non lue

Après l’offre Kindle Unlimited (accès intégral au catalogue pour moins de 10 dollars par mois), Amazon, avec l’annonce de ce nouveau service, poursuit son travail d’exploration des opportunités de la « pop économie ». Sa place de leader incontesté et incontestable à la fois sur le secteur de la vente de livres mais également sur celui des dispositifs de lecture (le Kindle occupe plus de 50% des parts de marché mondiales) confère à cette annonce une portée absolument considérable qui pourrait définitivement achever de démanteler (version pessimiste) ou de remodeler (version optimiste) ce que l’on appelait jusqu’ici la « chaîne du livre ».

Pour le savoir, il faudra attendre la réaction des auteurs (je prends le pari qu’elle sera pour l’essentiel positive) et surtout celle des éditeurs (dont l’inertie et la capacité à maintenir depuis plus d’un siècle un modèle de rente dans lequel les auteurs touchent moins de 5% du prix de vente suffiront à justifier l’engouement des mêmes auteurs pour une alternative qui bien que dangereuse leur apparaîtra – dans un premier temps – surtout prometteuse).

Une chose est sûre, après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue.

Monétiser l’acte de lecture

A l’instar du modèle AdWords/AdSense de Google, qui rémunère les auteurs de pages web au taux de clic mais constitue surtout la première et quasi unique source de revenus de la firme, le modèle de rémunération à la page lue proposé par Amazon se veut une sorte d’AdSense/AdWords de la lecture qui a pour objectif premier de renforcer la trésorerie de la firme. A ceci près qu’il lui ôte – à la lecture – tout son sens. En tout cas ce qui fut son sens depuis l’invention de l’imprimerie. Le Web se vendait à la régie publicitaire de Google au CPC (« cost per click »), la littérature se vendra bien à Amazon au CPPR (« cost per page read »).

AdWords avait consacré la mise aux enchères du vocabulaire, avait fait du lexique, de la langue, un marché comme les autres (modèle du capitalisme linguistique de Frédéric Kaplan). Le modèle de rémunération des auteurs à la page lue transforme l’activité de lecture pour en faire un « indicateur », une « variable » permettant toutes les spéculations mais aussi tous les détournements.

Après avoir cassé ce droit fondamental qui est celui de la confidentialité de l’acte de lecture, Amazon s’apprête désormais à le monétiser. Pop économie et salariat algorithmique. Et toujours ces secteurs – celui de la langue –, toujours ces moments – celui de la lecture – que l’on pensait préservés de la sphère marchande et qui s’y trouvent systématiquement soumis et aliénés. Plus aucun espace-temps, pas même celui du jeu, qui ne fonctionne comme un système de remise à la tâche, qui ne soit un cheval de Troie marketing ou un salariat algorithmique à peine masqué.

Confidentialité et liberté

Se souvenir du mal que les DRM ont fait aux droits du lecteur (de livres numériques). Se souvenir aussi de Pennac, comme un roman, et son droit de ne pas lire, son droit de sauter des pages... De ce que ces droits deviendront lorsque les auteurs seront payés à la page lue...

Jamais en tout cas l’expression d’Alain Giffard à propos des « lectures industrielles » n’aura été aussi adaptée. A ceci près qu’elle désignait originellement la capacité des algorithmes et autres « crawlers » à parcourir les pages web pour les indexer et offrir ensuite un accès à ces mêmes pages.

Le modèle de rémunération à la page lue d’Amazon consacre et institue l’industrie de la lecture avec son cortège d’ouvriers « d’auteurs spécialisés » et de « contremaîtres lectoraux », tous soumis aux mêmes patronats algorithmiques fondés sur le contrôle des métriques et des données disponibles au travers de cette liberté essentielle que nous avons – malgré nous – abandonnée en refusant de l’envisager comme absolument essentielle à l’existence même de la démocratie : la liberté que nous conférait la confidentialité de l’acte de lecture. Qu’il nous faut à toute force et de toute hâte reconquérir. Si nous sommes encore capable d’en comprendre la valeur.


http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2015/06/22/amazon-quimplique-paiement-auteurs-a-page-lue-259887
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La vie ne devrait consister qu'à trouver les bons mots au bon moment. (Tété, Emma Stanton, 2003).
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