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Kitty95 Victime
Age: 66 Inscrit le: 23 Juil 2007 Messages: 9 Localisation: Montmorency 95
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Posté le: Mer Jan 30, 2008 2:07 pm Sujet du message: La vengeance, un plat qui se mange froid (nouvelle) |
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Une nouvelle sans prétention que je soumets à vos regards acérés...
— Votre problème est le suivant : vous êtes trop introvertie. Malgré la richesse de vos émotions, malgré votre sensibilité à fleur de peau, vous n’extériorisez aucun de vos sentiments. Est-ce que je me trompe ?
— Non docteur. Vous avez sûrement raison… Que me conseillez-vous de faire ?
— Laissez-vous donc aller ! Quand vous êtes contente, dites-le, montrez-le ! Idem lorsque vous êtes en colère ! Cessez d’être spectatrice de votre vie. AGISSEZ !
Le docteur Blanchard se leva et, sans ajouter un mot, raccompagna Sabine à la porte de son cabinet. Depuis quatre ans, il la suivait dans le cadre d’une psychothérapie et n’avait accompli aucun progrès. Ces derniers temps, il avait même le sentiment que sa patiente régressait, se repliait encore plus sur elle-même. Le conseil qu’il s’était permis de lui prodiguer en fin de séance lui avait échappé, et il craignait d’avoir outrepassé les limites imposées par sa profession.
Bien que cette pratique fût déontologiquement incorrecte, le docteur Blanchard soignait également l’ex-mari de Sabine depuis de longues années. Il le savait violent et, à l’époque où le Professeur Grandin lui avait annoncé son mariage prochain avec une jeune provinciale naïve, il lui avait déconseillé de donner suite à son projet. Le Professeur avait juré haut et fort que jamais il ne lèverait la main sur sa femme. Bien entendu, il n’avait pas tenu parole. Après quelques mois de mariage, les coups se mirent à pleuvoir. Lorsque Sabine, désespérée, vint lui demander de l’aide, le docteur Blanchard lui proposa une thérapie, en espérant parvenir à un double résultat : épargner la jeune femme et soigner son époux. Au bout d’une année de vie commune, le Professeur Grandin, lassé de son épouse trop docile, finit par demander le divorce. Décision que le docteur Blanchard accueillit avec soulagement. Certes, Sabine sortait brisée de ce mariage effroyable, mais il avait bon espoir de lui redonner goût à la vie…
Après avoir descendu en courant les quatre étages qui menaient au rez-de-chaussée du vieil immeuble où exerçait son psy, Sabine fut accueillie par un froid glacial. Elle remonta le col de son manteau et s’engagea dans l’avenue Félix Faure en direction du métro. « Agissez ! », avait dit Blanchard. « Vous êtes trop introvertie. » Quel scoop ! Comme il la connaissait bien ! Aussi bien que ses proches qui, à tour de rôle, lui avaient tous tenu le même type de langage. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui l’avaient amenée à consulter, quatre ans plus tôt. Depuis, et à raison d’une séance par semaine, ses maigres économies avaient fondu comme neige au soleil. Son salaire lui permettait à peine de survivre, sans extras, sans petits week-ends au bord de la mer. Pas de coiffeur, pas d’esthéticienne, pas de club de fitness. Rien. Le vide absolu.
Perdue dans ses pensées, Sabine heurta un homme de plein fouet lorsque celui-ci lui coupa la route pour s’engager le premier dans la bouche du métro.
— Pauvre con ! s’entendit-elle crier.
Surpris, l’homme marqua un temps d’arrêt avant de se retourner.
— C’est à moi que vous vous adressez ?
— Et à qui d’autre, à votre avis ? Vous m’avez bousculée, non ?
— Tu débarques de ta province ou quoi, pauvre pomme ? A Paris, la bousculade, c’est monnaie courante !
— « Je ne suis pas Parisienne, qu’à cela ne tienne, qu’à cela ne tienne… » se mit à fredonner Sabine avant de pouffer de rire.
Déstabilisé, l’homme ouvrit la bouche pour protester mais aucun son n’en sortit. Cette maudite inconnue lui avait coupé le sifflet. Furieux de manquer de repartie, il lui tourna le dos et prit la fuite. Dans l’intervalle, un petit attroupement s’était formé autour de Sabine. La scène avait attiré quelques badauds.
— Tout va bien, Mademoiselle ? s’aventura l’un des curieux.
Ignorant la question et celui qui l’avait posée, Sabine s’engouffra dans le métro, légère, un mince sourire flottant encore sur ses lèvres.
Après le métro, il lui fallait prendre le train pour rentrer chez elle. Mais ce soir-là, exceptionnellement, le trajet ne lui pesait pas. Elle se sentait presque joyeuse, tant elle était fière de son exploit. Pour la première fois de sa vie, elle s’était rebiffée, avait manié l’humour et rabattu le caquet d’un inconnu.
Comme à son habitude, Sabine scruta le wagon dans lequel elle venait de monter, à la recherche d’une place isolée où elle pourrait s’installer à sa guise et croiser les jambes. Cette manie des banlieusards l’horripilait quatre ans plus tôt lorsqu’elle avait quitté St-Just-en-Chaussée pour Paris. Puis finalement, tout comme eux, elle avait pris le pli de s’installer sur une banquette trois places, contre la vitre, de préférence dans le sens de la marche. Elle posait son sac à côté d’elle et croisait les jambes pour éviter qu’un passager s’asseye en face d’elle. Bien sûr, au fur et à mesure que le train se remplissait, il devenait de plus en plus difficile de conserver ce privilège et, bien souvent, elle devait reprendre son sac pour le poser sur ses genoux et céder ainsi la place.
Alors qu’elle se dirigeait vers le centre du wagon, encore partiellement inoccupé, elle changea d’avis. Une femme, confortablement installée sur son siège, monopolisait trois places. Sabine rebroussa chemin et se fraya un passage entre les sacs de la passagère pour venir s’asseoir en face d’elle, l’obligeant ainsi à décroiser les jambes. Un soupir excédé accompagné d’un regard noir salua son initiative. Sans flancher, Sabine considéra la femme et un franc sourire apparut sur ses lèvres.
— Je vous dérange ?
— Evidemment ! Vous auriez pu vous asseoir ailleurs.
— J’aurais pu, c’est vrai, mais c’est précisément à cette place que je souhaitais m’installer.
— Bien joué, lança un jeune rasta. Alors, là, vous lui avez coupé la chique.
— C’est vrai, ajouta un vieillard à la mine joviale. Y en a marre de ces bonnes femmes qui se croient tout permis.
— Fermez-la ! glapit la voisine de Sabine, furieuse de s’entendre critiquer. Mêlez-vous de ce qui vous regarde.
Surpris par la violence du ton employé par la femme, tous les passagers se retournèrent pour la contempler.
— Non mais écoutez-la, celle-là ! Elle se prend pour qui, cette pétasse ? lança une adolescente, abandonnant pour un temps sa conversation sur son portable.
— Ah non mademoiselle, pas d’insulte ! s’insurgea le vieillard.
— Pétasse… reprit un jeune coiffé d’une casquette. C’est un peu exagéré, non ? Je dirais plutôt grognasse !
Comme le train marquait son premier arrêt, Sabine se leva et prit la direction de la sortie. Juste avant de sauter sur le quai, elle lança à la cantonade :
— Salut la compagnie mais faites-moi plaisir, ne vous étripez pas !
Reprenant son sérieux, elle monta dans le wagon voisin car son trajet n’était pas terminé. Elle s’installa sagement à côté d’un homme en complet veston occupé à lire Le Monde.
— Vous y comprenez quelque chose ? ne put-elle s’empêcher de demander après quelques minutes de silence.
— C’est à moi que vous parlez ? s’enquit son voisin, les sourcils levés.
— Oui, à vous.
— Je ne comprends pas votre question.
— C’est bien ce que je pensais, vous lisez Le Monde pour frimer, parce que ça fait intello.
— N’importe quoi, grinça l’homme en se replongeant dans sa lecture.
La passagère en face de Sabine ne put réprimer un petit rire.
— Je crois que vous avez marqué un point, plaisanta-t-elle, avant de reprendre sa contemplation du paysage, pourtant morose, qui défilait sous ses yeux.
L’homme plaqua son journal sur ses genoux pour dévisager la jeune femme qui venait de glousser.
— On vous a sonnée, vous ?
— Oh, ça va ! Lâchez-moi, vous voulez bien ? On a bien le droit de rire, non ?
— Pas à mes dépens.
— Monsieur n’a pas le sens de l’humour ?
Comme la situation risquait de dégénérer, Sabine quitta sa place pour, une fois encore, changer de wagon à la station suivante. Décision avisée car l’homme venait de donner une claque à la jeune insolente, provoquant un tollé général dans le wagon.
Installée dans la voiture de tête, Sabine faillit louper son arrêt, tant elle était occupée à se remémorer les trois scènes qu’elle avait provoquées. Jamais de sa vie elle ne s’était comportée ainsi. Si par hasard elle croisait le regard d’un inconnu, elle détournait aussitôt les yeux de peur d’être prise à parti, vivant toute tentative d’approche comme une réelle agression. Jamais auparavant elle n’aurait bronché lorsqu’on la bousculait. Décidément, elle ne se reconnaissait plus.
Sabine pressa le pas pour se réfugier chez elle, à l’abri. Après avoir dîné d'une soupe et d'une tranche de jambon, elle avala un somnifère et se coucha, bien déterminée à oublier les évènements de la journée.
Le lendemain matin, lorsque le réveil sonna, Sabine ouvrit un œil et s’étira de tous ses membres. L’esprit un peu embrumé, elle se leva pour se préparer un café. Le jour ne filtrait pas encore par les persiennes de la cuisine. Bien emmitouflée dans sa robe de chambre, elle ouvrit la fenêtre, poussa les volets et inspira profondément. L’air froid de ce début d’hiver acheva de la réveiller. Les évènements de la veille lui revinrent en mémoire, et une haine sourde à l’égard de son psychothérapeute se mit à la tenailler. En quatre ans, il ne lui avait prodigué aucun conseil. Hier, en revanche, il s’était permis de la traiter d’introvertie. Quelle merveilleuse découverte ! Sans compter qu’il avait écourté la séance d’au moins dix minutes. « Vengeance ! », lui criait son subconscient.
Prise d’une inspiration subite, Sabine décida de se porter pâle à son travail.
— Allo ? Sabine Grandin à l’appareil… dit-elle d’une petite voix chevrotante. Ecoutez, je ne viendrai pas aujourd’hui, je pense avoir une gastro.
— Reposez-vous, Sabine, compatit la standardiste. Je préviens votre chef de service.
Et voilà, le tour était joué. Sans prendre la peine de se doucher, Sabine enfila ses vêtements de la veille et, coiffée d’un bonnet de laine, elle sortit dans le petit matin glacial. Dans le train, elle s’assit à l’écart sans chercher cette fois à agresser quiconque. Dans le métro, elle se fit tout aussi discrète. Parvenue à destination, elle grimpa à l'étage de son psy en s’efforçant de ne pas faire grincer les marches. Elle appuya sur la sonnette du thérapeute et attendit, le regard fixé sur l’œilleton.
— Sabine ? Que se passe-t-il ? demanda le docteur Blanchard après lui avoir ouvert.
— J’ai commis un meurtre…
— Un meurtre ?
— Je vous en prie, venez avec moi. J’ai besoin d’aide.
Stupéfait, le thérapeute saisit son manteau accroché à une patère dans l’entrée et quitta le cabinet. Il s’engagea sur la première marche en faisant signe à Sabine de le suivre.
— Parlez-moi de ce meurtre, Sabine…
— « Cessez d’être spectatrice de votre vie, agissez ! », m’avez-vous dit hier, alors…
Elle accompagna ces paroles d’une poussée fulgurante dans le dos du psy qui perdit l’équilibre et dévala les marches, la tête la première, jusqu’à l’étage du dessous. Un silence pesant succéda au vacarme de la chute qui, de manière surprenante, n’avait attiré aucun curieux. A pas de loup, Sabine s’engagea dans l’escalier à son tour. Lorsqu’elle arriva à hauteur du thérapeute, elle constata avec satisfaction que la tête de ce dernier formait un angle étrange avec son corps. Malgré tout, il respirait encore.
— Ce meurtre, Sabine… parvint-il à articuler.
— Je viens de le commettre, Docteur… Adieu !
Sans avoir rencontré âme qui vive, Sabine poursuivit son chemin. Arrivée en bas de l’immeuble, elle en franchit le seuil et jeta un regard autour d’elle avant de prendre la direction du métro. En haut des marches de la station Félix Faure, elle consulta sa montre. « 8 h 45… timing parfait », songea-t-elle en souriant.
Ce soir-là, emmitouflée dans sa robe de chambre, Sabine alluma la télévision pour regarder les informations. «...C’est ainsi que le docteur Blanchard a été retrouvé mort, assassiné par l’un de ses patients à son domicile dans le 15ème arrondissement de Paris… Il gisait sur le palier du troisième étage de son immeuble, lorsqu’un voisin a surpris un individu prenant la fuite...»
A cet instant précis, le téléphone retentit chez Sabine.
— Allo ?
— Sabine, tu as entendu les infos ?
— Ah, c’est toi frangin. Non… Je suis clouée au lit avec une gastro carabinée. Pourquoi ?
— Ton mari… Ton ex-mari, je veux dire…
— Quoi, mon ex-mari ?
— On vient de l’arrêter pour meurtre ! Il aurait assassiné son psy, le docteur Blanchard ! Il a été appréhendé alors qu’il se rendait à sa consultation. Une dispute qui aurait mal tourné… Tu y crois, toi ? |
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Rod Témoin
Age: 48 Inscrit le: 03 Avr 2008 Messages: 27
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Posté le: Jeu Avr 03, 2008 4:40 pm Sujet du message: |
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Excellente nouvelle, bravo
C'est clair, précis, incisif avec un final bien ficelé
Merci !! |
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Kitty95 Victime
Age: 66 Inscrit le: 23 Juil 2007 Messages: 9 Localisation: Montmorency 95
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Posté le: Jeu Avr 03, 2008 4:44 pm Sujet du message: |
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Merci pour le commentaire !
Cela fait toujours plaisir d'être lu |
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Clairobscure Meurtrier
Age: 54 Inscrit le: 14 Nov 2005 Messages: 302 Localisation: Tours
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Posté le: Ven Avr 04, 2008 2:23 pm Sujet du message: |
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Oui, Kitty, très agréable à lire ; j'adore quand Sabine se rebelle et met la pagaille dans le train !!!!! |
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Kitty95 Victime
Age: 66 Inscrit le: 23 Juil 2007 Messages: 9 Localisation: Montmorency 95
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Posté le: Ven Avr 04, 2008 2:33 pm Sujet du message: |
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J'ai eu très souvent envie de mettre ce genre de pagaille dans les transports en commun... sans jamais oser !
Merci du commentaire |
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Ssarlotte Serial killer : Le Poète
Age: 39 Inscrit le: 01 Jan 2013 Messages: 2185 Localisation: St Maur des Fossés
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